Le Caire, Amman, Sanaa: La révolution en direct |
Published by El Watan | |
Friday, 04 February 2011 | |
Le vent de la colère souffle. El Watan Week-end a donné la parole à des citoyens au Caire, à Amman et à Sanaa pour mieux cerner les enjeux et vivre de près le prometteur «printemps arabe»On sort la grosse artillerie au sommet du pouvoir égyptien. Le président Moubarak a accordé, hier, une interview à la chaîne américaine ABC dans laquelle il affirmait qu’il aimerait quitter le pouvoir mais que son départ provoquerait le chaos dans le pays.Le raïs a aussi affirmé qu’il ne voulait pas voir les Egyptiens se battre entre eux. Cette interview fait suite à celle accordée, toujours hier par le vice-président Omar Souleimane à la télévision égyptienne. Au cours de l’entretien, M. Souleimane a soutenu que les violences observées entre les manifestants favorables et hostiles au président égyptien Hosni Moubarak sont le résultat «d’un complot» fomenté par des gens en Egypte même ou bien à l’étranger. Pour l’ancien responsable des moukhabarate, ceux qui manifestent à la place Tahrir ont des desseins spécifiques. Les opposants au président Moubarak ont appelé, pour aujourd’hui vendredi, à une nouvelle mobilisation générale qui devrait réunir un million de personnes, afin de chasser le raïs égyptien au pouvoir depuis près de 30 ans. Cette manifestation baptisée «le vendredi du départ» par les organisateurs, irrite fortement Omar Souleimane. Celui-ci considère que le départ du président Hosni Moubarak était un appel au «chaos».
Cette annonce est intervenue alors que des représentants des jeunes manifestants de la place Tahrir avaient participé à la première séance du dialogue hier matin. M. Souleimane a précisé que d’autres partis politiques, ainsi que des «personnalités» et des «indépendants» ont accepté de participer à ce dialogue sauf deux partis de l’opposition de gauche, Wafd (libéral) et le Tagammou (gauche). Les violences ont fait au moins huit morts, selon un nouveau bilan du ministère égyptien de la Santé, cité par l’agence officielle Mena, alors que des sources médicales ont révélé que les heurts ont fait plus de 1 000 blessés. Cette situation a provoqué la réaction de la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, qui dans un appel téléphonique au vice-président égyptien Omar Souleimane, lui a indiqué que les violences de mercredi «étaient un développement choquant après plusieurs jours de manifestations constamment pacifiques». Elle a demandé au gouvernement égyptien de sanctionner ceux qui sont responsables d’actes violents et a également souligné le rôle important que les forces armées égyptiennes ont joué en agissant avec modération lors des manifestations pacifiques. La peur de la contagionLes derniers développements en Egypte ont poussé certains pays de la région menacés de contagion à prendre des mesures préventives. Le roi Abdallah II de Jordanie a nommé un nouveau Premier ministre, Maarouf Bakhit, et reçu hier une délégation du Front de l’action islamique (FAI), la branche politique des Frères musulmans. Le souverain a reconnu lors de l’entretien que les réformes avaient connu un ralentissement qui«ont fait perdre de nombreuses opportunités à la nation pour progresser». Autre régime menacé, le Yémen qui connaît des manifestations pour réclamer le départ du président Ali Abdallah Saleh au pouvoir depuis 1978. Ces troubles ont contraint M. Saleh à annoncer qu’il renonce à briguer un nouveau mandat et s’est déclaré contre la transmission héréditaire du pouvoir.
Ce qui s’est produit, c’est que le système au pouvoir continue son jeu : c’est-à-dire à constituer des bandes de voyous alliées au ministère de l’Intérieur qu’on a pris l’habitude de voir dans toutes les marches et manifestations qu’on organise, que ce soit par solidarité à l’Irak, à la Palestine ou même pour nos propres problèmes. On a vu hier, en début de journée, des manifestations pro-Moubarak guidées des artistes de deuxième ou troisième degrés et des footballeurs qui soutiennent le système ; très vite remplacés par des voyous qu’on reconnaît facilement. Pour semer la zizanie, terroriser et frapper. L’armée et les jeunes révolutionnaires ont tenté de fermé les issus pour les empêcher de se mêler aux manifestants, ils ont réussi à se faufiler par un accès proche du musée qu’ils ont d ailleurs attaqué. Aujourd’hui, en allant à Maydan El Tahrir, l’armée et les jeunes fouillent tout le monde, pour vérifier que ce ne sont pas des voyous. Le but de la manœuvre a échoué, il faut dire qu’ils voulaient donner l’image que c’était un conflit au sein même de l’opposition. A mon avis, c’est une tentative vaine, d’un régime en fin de course qui tente désespérément de réduire à l’échec une révolution réussie et ingénieuse. Le slogan de tout le monde était au départ «Le peuple veut faire tomber le régime» et qui est inspiré de la Révolution du jasmin, qui est devenu «Le peuple veut faire tomber Moubarak» après son discours qui n’a convaincu personne. Et depuis les événements de mercredi c’est devenu «Le peuple veut juger Moubarak». Le rôle de l’armée est très respectable, et ce, depuis le premier jour de la révolution. Il a promis de ne pas tirer sur la population, il a protégé les jeunes révolutionnaires de la place Maydan El Tahrir. Les gens ne demandent pas officiellement à l’armée d’intervenir, car cela voudrait dire un coup d’état que l’armée aurait d ailleurs très bien pu faire, mais la position de l’armée égyptienne rappelle la position du général Rachid Amar en Tunisie. L’armée égyptienne a prouvé qu’elle appartenait au peuple. Que c’est une force nationale qui sait rester neutre et qui ne se retourne pas contre sa population. Aujourd’hui, le nouveau Premier ministre est sorti demander des excuses sur ce qui s’est déroulé et déclare déclencher une enquête sur les agressions d’hier… mais le plus raisonnable, c’est que le président Moubarak parte avant le jour de la colère ultime.
Le taux élevé d’alphabétisation a fait qu’au Yémen, la révolution tarde à se déclencher, en dépit des manifestations quotidiennes. C’est là la grande différence entre notre pays, la Tunisie et l’Egypte. Avec cet obstacle, la société civile ne peut pas jouer son rôle parfaitement. La conscience populaire reste encore faible. Les partis politiques sont comme un cautère sur une jambe de bois. Ce sont les chefs de tribu et les chouyoukh de religion qui font l’opinion et qui ne sont, malheureusement, pas impliqués dans cette nouvelle vague de protestation. Le rôle de la presse reste également faible devant 80% d’analphabètes. Toutefois, nous sommes très ambitieux au Yémen. Nous suivons de près ce qui se passe en Egypte. C’est notre guide. Cette révolution arabe a ouvert une nouvelle ère démocratique pour tous les peuples. C’est une ère meilleure et une démocratie majeure que nous cherchons désormais. Nous y arrivons. La leçon est donnée par la Tunisie, et je crois qu’on ne peut plus reculer. C’est l’heure du changement. Je vois que grâce à cette révolte que les choses commencent à bouger chez nous. L’annonce du président reste tout de même une surprise pour nous.
L’ampleur est moindre chez nous. Moi-même tant que journaliste j’ai marché et j’ai protesté, j’ai vécu les manifestations de l’intérieur. Je suis citoyenne et toutes les revendications soulevées me concernent. A l’heure où je vous parle (mardi, nldr), le gouvernement vient d’être changé. Certes, c’est un résultat positif, mais ne calmera pas les esprits. Ce n’est pas la seule solution. Actuellement, il n’y a pas de marche annoncée, et nous ne marcherons pas demain (vendredi), puisqu’une revendication est déjà prise en considération. Mais, il y en a d’autres qui attendent d’être satisfaites : nous demandons l’abrogation de la loi sur l’Assemblé nationale, l’amélioration de la situation économique… la révision des prix des carburants. Nous attendons plus que cette démarche. L’avenir que nous nous réservons est ambitieux. Ce sont les jeunes révoltés qui se sont soulevés, suivis plus tard de la société civile et des partis politiques. La machine est déjà enclenchée, et nous ne pouvons pas l’arrêter sans résultat.
Nous n’avions pas de liberté avant 2005 en Liban. L’opposition qui s’est soulevée contre la présence syrienne au Liban a toujours été réprimée. Ce n’est qu’après la mort de Hariri que les choses ont commencé à bouger. C’est à ce moment-là que la classe politique s’est révoltée pour demander le changement du régime. Nous organisons chaque lundi des protestations pour demander notre indépendance… Mais tout a été acquis à l’arrivée et à la mobilisation des politiciens pour échafauder le soulèvement populaire et créer ce qui est désormais appelé le Printemps libanais. Et si je fais une comparaison avec la situation en Egypte, je vous dirais que la révolution est beaucoup plus spontanée mais qui n’est pas assez structurée. Les manifestants demandent le changement du régime sans qu’il prépare une plate-forme et l’après-Moubarak. Contrairement au Yémen et au Soudan, Moubarak ne lâche pas. Je souhaite que les manifestants égyptiens puissent continuer leur mouvement et de s’organiser d’une meilleure façon. Il est impératif de continuer sans s’entraîner dans le chaos. A mon avis, c’est la plus belle manifestation que j’ai jamais vue, enclenchée par des jeunes sur facebook. Si elle dure, Moubarak jettera certainement l’éponge. Mais il faudrait également une pression internationale. Je comprendrais également la crainte des Américains par rapport au changement de régime égyptien et son influence sur les accords avec Israël.
– Quelle est la nature du mouvement que connaît la Jordanie?
– C’est ce qui a été fait. Le roi Abdallah II a nommé un nouveau Premier ministre, Maarouf Al Bakhit. Comment est-il perçu par la population ?
– Quelle est la mission du nouveau Premier ministre Al Bakhit ?
– Si l’on compare ce qui se passe en Jordanie à ce qui s’est passé en Tunisie ou en Égypte, un remaniement ministériel ne réussit pas à éteindre la contestation…
– La nature de la protestation en Tunisie et en Jordanie n’est pas la même. Mais les Jordaniens se sont-ils inspirés des Tunisiens ?
– Beaucoup estiment que la décision du roi a été dictée de l’extérieur. Vous êtes le deuxième pays arabe ayant signé un traité de paix avec Israël après l’Égypte, où la révolte prend de l’ampleur…
Le régime de Moubarak essaie de déclencher une sorte de terreur chez les manifestants. A la place Maydan El Tahrir, devant toute la planète, il y a eu violence contre des civils. Aujourd’hui, la revendication essentielle est que Moubarak dégage. En agissant de la sorte contre des manifestants pacifiques, il a perdu le peu de soutien qu’il lui restait après son discours de la veille. L’avenir est encore difficile à cerner, une chose est sûre, c’est qu’il faut impérativement aujourd’hui organiser un front de négociations. Il faut qu’une action politique s’établisse le plus rapidement possible pour bien gérer la situation et trouver des solutions.
Ce qui est arrivé hier à la place Maydan El Tahrir on s y est habitué en Egypte. La police utilise les voyous qu’elles paient pour qu’ils frappent. La plupart des pseudos pro-Moubarak étaient des policiers en civil. Il y a avait aussi sans doute des jeunes inquiets car le seul média qui reflétait la réalité était Al Jazeera, après la censure d’internet et la fermeture d’Al Jazeera en Egypte, les gens ont uniquement droit à la chaîne nationale qui fait tout pour dramatiser la situation en disant que l’économie est en train de subir les conséquences du soulèvement national à cause du départ des touristes. La revendication aujourd’hui dans la rue c’est que Moubarak quitte le pouvoir ; la plupart des manifestants demandent son départ sans concession. Le scénario d’après n’est pas encore prévisible, mais le premier pas c’est le départ de Moubarek. 30 ans de dictature ont affaibli toute l’opposition qui n’est pas assez mature aujourd’hui pour se distinguer. Mais le changement nous permettra de faire des erreurs et de reconstruire notre démocratie.
Mercredi, à la place Maydan El Tahrir, c’était un véritable bain de sang. Le pouvoir a démontré une fois de plus qu’il est illogique et fasciste. Les revendications des gens dans la rue étaient entre autres : le changement de la Constitution, du Parlement et la levée de l’état d’urgence. Ces revendications ont évolué, à savoir le départ de Moubarak, et surtout qu’il soit jugé pour le bain de sang qu’il a provoqué. Je pense que la prochaine étape est l’appel de la population à l’armée pour qu’elle intervienne au profit du peuple. L’armée égyptienne est parmi les rares institutions qui n’a pas été infectée par la corruption et il est encore en son pouvoir de préserver la sécurité de la patrie.
– Quel est le climat qui règne dans le pays depuis la nomination du gouvernement de transition ? Parle-t-on d’actions de pillage et de saccage ?
– Il semble que le nouveau gouvernement ait été plus accepté que le gouvernement «d’union nationale», le peuple conteste-t-il toujours la présence de figures de l’ancien régime ?
– L’UGTT a joué un rôle majeur durant la révolution et a gagné la confiance du peuple. Pourquoi refuse-t-elle maintenant de faire partie du gouvernement après y être entrée ?
– Pourtant l’UGTT a déclaré «accepter» M. El Ghannouchi au poste de Premier ministre du gouvernement de transition, pourquoi ?
– La Révolutiondu jasmin a été à cent pour cent tunisienne et a pris de cours l’Occident et la France en particulier. Pensez-vous que «la rue tunisienne» a été sous-estimée ?
– La position de la France a été très critiquée. Ses intérêts sont-ils menacés ?
– Qu’en est-il de la «menace islamiste» dont parlent les médias étrangers ?
– Mohamed B. Bouebdelli. Président de la Fondation universitaire Bouebdelli. Le Caire.
– Mona Prince. Ecrivaine et universitaire. Le Caire
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Merci Rita.
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